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Mikati à « L’OLJ » : « Le Hezbollah veut un accord avec le FMI »
Thursday, Jan 20, 2022

OLJ / Par Mounir RABIH

Nagib Mikati ne cache pas sa satisfaction de pouvoir convoquer prochainement le Conseil des ministres après trois mois de paralysie en raison du boycott du tandem chiite. Dans un entretien accordé à L’Orient-Le Jour, le Premier ministre libanais définit ses quatre priorités : les discussions avec le Fonds monétaire international (FMI), les élections législatives, la livraison de gaz égyptien et d’électricité jordanienne au Liban et les négociations sur la démarcation de la frontière maritime avec Israël. Celui qui avait l’habitude, au cours de ces derniers mois, de répéter que « le cabinet est gelé mais que le gouvernement fonctionne » assure qu’il n’a jamais envisagé de démissionner. Il compte sur sa capacité à arrondir les angles et sur le soutien dont il dispose auprès de la communauté internationale pour attaquer de front ces quatre dossiers.

Les négociations avec le FMI

« Il existe une grande volonté internationale d’apporter une aide au Liban, à condition que les négociations avec le FMI aboutissent », assure Nagib Mikati. Les négociations avec l’institution financière ont repris en octobre dernier. Le Liban espère obtenir une aide structurelle en contrepartie de la mise en place de réformes réclamées par la communauté internationale. Des discussions entre l’équipe libanaise et une délégation du FMI devraient débuter dans quelques jours par visioconférence. « Les négociations sont sérieuses et se dérouleront en même temps que l’approbation du budget, dont le projet principal est terminé, tandis que les travaux se poursuivent pour vérifier les chiffres », dit-il. Le Premier ministre considère que la fluctuation de la livre est le principal obstacle à la finalisation du budget, un sujet qu’il suit « personnellement » avec le ministre des Finances Youssef Khalil et le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé. « C’est la raison pour laquelle nous sommes amenés à intervenir sur le marché pour réduire le taux de change et achever le budget sur cette base de manière à établir des chiffres budgétaires précis », ajoute-t-il.

Le Premier ministre fait ici référence au fait que la BDL a récemment autorisé les banques à lui acheter plus de dollars au taux de la plateforme Sayrafa, qui est supérieur à la parité officielle de 1 507,5 livres, et au taux de 8 000 livres en vigueur pour les retraits en livres via la circulaire n° 151, mais inférieur à celui du marché libre. Cette mesure a eu pour conséquence de faire baisser le taux appliqué sur ce marché et de réduire l’écart avec celui de Sayrafa. Le président du Conseil se dit confiant pour la suite des négociations. Le Hezbollah est-il sur la même longueur d’onde ? « Contrairement à ce que tout le monde pense, le Hezbollah tient à un accord, et c’est un point positif qui va nous soulager », affirme le Premier ministre.

Le cas Riad Salamé

Le gouverneur de la banque centrale fait l’objet d’une série d’enquêtes judiciaires aussi bien au Liban qu’à l’étranger autour de soupçons de fraude, de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite, entre autres allégations. Il a démenti à plusieurs reprises ces accusations. Il est, dans le même temps, au cœur des tiraillements politiques, le camp présidentiel souhaitant l’écarter pour redorer le bilan de son mandat. Est-il question de sa destitution ? Nagib Mikati répond par la négative. « C’est lui qui a tous les chiffres dont nous avons besoin dans toutes les négociations », explique-t-il, avant d’ajouter : « C’est vrai que le président de la République m’a approché une fois à ce sujet, mais je lui ai dit : “Est-ce que nous sommes d’accord sur la nomination d’un nouveau gouverneur ?” Le président m’a répondu par la négative. Je lui ai alors fait remarquer que M. Salamé sera remplacé par le vice-gouverneur, un chiite, qui sera rejeté par la communauté internationale et que ce n’est pas le bon timing pour une telle décision. Ensuite, j’ai dit au président qu’il fallait profiter du gouverneur pour atteindre nos objectifs et terminer les négociations avec le FMI. Pour le reste, nous verrons après. »

Le retour au gouvernement du tandem chiite

Le tandem Hezbollah-Amal est de retour à la table du gouvernement après trois mois de blocage sur fond de divergences autour de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth menée par le juge Tarek Bitar que les deux formations chiites accusent d’être politisé et partial. Commentant ce retour, le Premier ministre écarte d’emblée toute éventualité d’un accord politique plus large derrière ce revirement. Certes, aujourd’hui, le juge Bitar, qui a poursuivi dans le cadre de cette affaire plusieurs responsables proches du tandem, a les mains liées, mais il n’a pas été mis à l’écart du volet politique de l’enquête comme le réclamaient le Hezbollah et Amal. Pour le Premier ministre, il ne faut pas chercher plus loin que l’explication donnée par le tandem chiite lui-même qui avait précisé que sa décision était motivée par le désir d’approuver le budget 2022 et de débattre des moyens de relancer l’économie. « La situation du pays est devenue insupportable », confirme Nagib Mikati, qui a annoncé mardi depuis Baabda une réunion du Conseil des ministres la semaine prochaine « consacrée à l’étude du projet de budget et aux dossiers économiques urgents ». S’il tient à saluer l’« audace politique » derrière la décision du tandem chiite, Nagib Mikati fait dans le même temps état de récentes pressions occidentales, notamment de la part de la France, pour parvenir à ce déblocage.

« Personne ne pourra faire pression sur le gouvernement pour interférer dans le travail de la justice », affirme le Premier ministre, réitérant la position qu’il a adoptée depuis le déclenchement de cette crise. Répondant implicitement au duo chiite qui a affirmé qu’il ne participera qu’à des réunions gouvernementales consacrées aux dossiers économiques, Nagib Mikati lance sans ambages : « C’est au Premier ministre de fixer l’ordre du jour du Conseil des ministres. Et tous les dossiers qui relèvent de l’intérêt national seront discutés. » Et de poursuivre : « Comme j’ai tenu à respecter le pacte national en évitant de convoquer une réunion à laquelle la composante chiite ne participerait pas, le tandem chiite devrait respecter les prérogatives du chef du gouvernement. » Selon lui, la mission de son cabinet est claire et connue : mener les négociations avec le FMI et organiser les législatives loin des conflits politiques qui « se poursuivront, même après les échéances électorales de 2022 ». Partant du principe que tous les protagonistes adhèrent à ces constantes concernant le travail de son cabinet, il écarte donc l’éventualité que de nouveaux conflits politiques, notamment sur les permutations et nominations administratives, surgissent et le fassent imploser de nouveau.

Les législatives

Nagib Mikati est conscient que beaucoup de Libanais, et surtout la communauté internationale, ont les yeux rivés sur les élections législatives fixées au 15 mai. Il est conscient aussi qu’il incombe à son gouvernement, formé en septembre dernier après 13 mois d’interminables tractations politiques, de faire en sorte que cette échéance soit organisée dans les délais. « Les Libanais, notamment les jeunes, espèrent que les législatives provoqueront le changement auquel ils aspirent, et je leur promets qu’à travers cette échéance, ils auront leur mot à dire », lance le Premier ministre.

Mais en ce qui concerne ses propres ambitions dans le cadre de ce scrutin et en tant que leader sunnite de Tripoli, le Premier ministre se montre moins sûr. « J’étudie toujours mes options, je n’ai pas encore pris la décision finale de me présenter », dit-il. En effet, un climat d’incertitude plane sur la scène sunnite en raison du flou maintenu par le leader du courant du Futur Saad Hariri, résidant aujourd’hui aux Émirats arabes unis, sur sa participation à cette échéance. « Je communique avec lui, comme avec les autres anciens Premiers ministres (Fouad Siniora et Tammam Salam). Nous attendons son retour pour prendre la décision appropriée », précise-t-il.

Le gaz et la frontière maritime

Évoquant les projets énergétiques en cours de préparation qui devraient permettre d’importer du courant de Jordanie et du gaz égyptien via la Syrie, Nagib Mikati affirme que « tout est finalisé ». Lorsqu’il s’est rendu récemment en Égypte où il a été reçu par le président Abdel Fattah el-Sissi et le Premier ministre Moustapha Madbouli, les discussions ont porté sur ce projet, et les responsables se sont mis d’accord sur la signature d’un accord préliminaire entre le Liban, l’Égypte, la Jordanie et la Syrie prochainement. « L’exemption écrite des sanctions imposées dans le cadre de la loi César sera obtenue par le Trésor US après la signature de l’accord qui aura lieu prochainement », précise le chef du gouvernement. L’ambassadrice américaine au Liban Dorothy Shea avait rassuré la semaine dernière les autorités libanaises en affirmant que ces projets énergétiques ne risquaient pas d’exposer le Liban à des sanctions américaines. La loi américaine César, entrée en vigueur en 2020, sert de cadre à Washington pour imposer des sanctions à toute personne et entité collaborant avec le régime syrien de Bachar el-Assad.

Revenant enfin sur le dossier du tracé de la frontière maritime entre le Liban et Israël, le Premier ministre a souligné que Beyrouth attend la visite du négociateur américain dans les pourparlers entre les deux pays, Amos Hochstein, qui a reporté sa visite à début février en raison des mesures sanitaires liées au Covid-19. Début octobre, Israël avait affirmé être prêt à faire de nouveaux efforts pour résoudre son différend avec le Liban sur la délimitation de leurs eaux territoriales en Méditerranée, tout en soulignant ne pas accepter que Beyrouth « dicte » les termes des pourparlers.

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